Ang Lee est un cas particulier du cinéma. L’auteur taïwanais, connu tout d’abord pour ses films intimistes, développe une passion pour les nouvelles technologies se métamorphosant peu à peu en véritable technicien de l’image.
Ang Lee est un cinéaste taïwanais hors du commun. Émancipé par des études aux USA, où il rencontre Spike Lee, le cinéaste démarre une carrière américaine dans un cinéma indépendant qui va faire des merveilles dans les salles art et essai du monde entier.
Un homme d’honneur
Son premier long, Pushing Hands (1991), est présenté à Berlin, mais c’est avec Garçon d’honneur (1993) qu’il trouve la gloire. Comédie sociétale sur l’homosexualité d’un jeune Asiatique, exilé aux USA, qui feint un mariage lors de la visite de sa famille, le film aborde une thématique inédite dans le cinéma chinois. Son succès jusqu’à Berlin (Ours d’or), lui vaut en 1993 une reconnaissance immédiate, confirmée à un moindre niveau par la comédie culinaire Salé sucré, en 1994.
Jane Austen made in Taïwan
En 1995, loin de sa culture d’origine, il met en scène un succès adapté de l’oeuvre de Jane Austen, Raison et sentiments. La mode est alors aux adaptations de classiques littéraires britanniques, et le monde afflue pour découvrir ce bijou d’esprit et d’écriture, avec Kate Winslet, Hugh Grant, Alan Rickman, et surtout Emma Thompson qui signe également le scénario. Le film vaut au cinéaste un nouvel Ours d’Or à Berlin dans un genre où personne ne l’attendait.
Abandonnant définitivement l’écriture de ses scripts qu’il laisse à son scénariste historique, James Schamus, Ang Lee livre juste après, avec Ice Storm, une oeuvre froide et personnelle qui fait mal au moral. Le drame produit par la Fox, avec Kevin Kline et Sigourney Weaver, n’a rien de bankable, mais se retrouve à Cannes, où il décroche le prix du scénario.
Cet échec dans le drame familial intimiste est suivi par un film historique se déroulant durant la guerre de Sécession. Chevauchée avec le diable est un nouvel échec pour l’auteur qui a le courage de s’atteler à des genres toujours plus différents et surtout à des cultures totalement étrangères à la sienne.
© 1992 Ang Lee Productions
Central Motion Pictures
Good Machine
La révolution Tigre et dragon
Pour retrouver l’inspiration, Ang Lee retourne en Chine en 1999 pour une coproduction monstrueuse, tournée en Chine pendant de longs mois, avec le concours de Hong Kong, Taïwan et les USA. Le film avec les stars asiatiques Chow Yun-fat, Michelle Yeoh et Zhang Ziyi, s’intitule Tigre et dragon ; il devient un véritable phénomène au box-office mondial, engrangeant des récompenses aux Oscars, et relaçant la mode du cinéma de sabre et d’arts martiaux. Le film, présenté à Cannes, va influencer dix ans de cinéma mondial, exposant les artistes chinois aux productions américaines et ouvrant une voie royale à la culture chinoise en Occident.
Après pareil triomphe, Hollywood ouvre désormais les portes en grand à Ang Lee qui n’est plus un auteur pour public restreint, mais bel et bien un potentiel cinéaste de film d’action. On retrouve ainsi le cinéaste aux commandes d’une production super-héroïque pour Universal. Il s’agit de Hulk, désastre artistique, premier navet officiel de l’auteur, détesté par tous, et évité par le public. On passe.
Drame et érotisme
C’est dans le cinéma d’auteur cossu que l’on retrouvera à nouveau Ang Lee, qui, à l’instar des chats à sept vies, sait toujours se relever des déroutes. Le secret de Brokeback Mountain (2005) aborde frontalement l’homosexualité à travers une histoire d’amour rustre qui permet au réalisateur de décrocher des prix en pagaille : Lion d’or à Venise, Meilleur film aux BAFTA, Golden Globes, Meilleur réalisateur aux Oscars… C’est l’une des œuvres les plus importantes de la décennie 2000, avec des acteurs magnifiques, Heath Ledger, Jake Gyllenhaal et Anne Hathaway.
Avec Lust, Caution, en 2007, Lion d’or à Venise, c’est le retour d’Ang Lee au cinéma chinois. Il ne fait pourtant pas l’unanimité, le drame érotique avec Tang Wei ey Tony Leung est même très vite oublié, après quelques polémiques ici et là, notamment sur son prix à Venise.
En 2009, Ang Lee s’intéresse à Woodstock avec un film à Oscars présenté à Cannes : Hôtel Woodstock. Sans réelles stars, le film gai passe inaperçu. La fin du maître? Jamais…
Ang Lee, le cinéaste qui ne voulait pas mourir
2012. l’inépuisable cinéaste tourne son film américain le plus ambitieux, avec l’adaptation du roman de Yann Martel. L’Odyssée de Pi est une merveille narrative et surtout une révolution technologique dans le domaine de la 3D, avec des images de synthèse au firmament. Le résultat demeure inégalé. Le bijou d’Ang Lee, film d’auteur total, obtiendra une pluie de récompenses, et lui vaudra entre autres, l’Oscar du meilleur réalisateur. On sent dès lors Ang Lee désormais fasciné par la technique, les nouvelles technologies et ce qu’elles peuvent apporter à l’immersion dans une salle de cinéma. Un beau pied de nez en quelque sorte au piratage qui ébranle l’industrie. Le film de cinéma non seulement se voit en salle, mais sur les meilleurs écrans, avec les meilleurs dispositifs sonores. Malgré la dureté de son sujet, la fable est un nouveau succès au box-office mondial.
Après quatre ans d’absence, Ang Lee reviendra en 2016, dans cette optique de révolution technologique, avec Un jour dans la vie de Billy Lynn. Sur le procédé d’un filmage en 120 images par seconde, le film au titre ronflant est techniquement épatant quand on le voit dans les bonnes conditions, mais à vrai dire, personne n’a vraiment pu profiter des conditions nécessaires à sa projection. Le drame patriote est aussi un échec effroyable au box-office, victime d’un sujet larmoyant, d’un casting fade… Tant d’efforts pour cela. Ang Lee rumine.
Dans Gemini man, en 2019, Ang Lee cède aux caprices hollywoodiens et revient au pur blockbuster américain, 16 ans après la déroute d’Hulk. Désormais peu regardant sur le sujet et la psychologie, ce que lui feront payer les critiques américains, il tourne une nouvelle page de cinéma en embrassant des technologies inouïes, déjà en place dans Billy Lynn, mais avec les moyens de Paramount, visiblement pas peu fier de confronter le vieillissant Will Smith à son clone jeune…
Filmographie
1991 : Pushing Hands
1993 : Garçon d’honneur (The Wedding Banquet)
1994 : Salé sucré
1995 : Raison et sentiments (Sense and Sensibility)
1997 : Ice Storm (The Ice Storm)
1999 : Chevauchée avec le diable (Ride with the Devil)
2000 : Tigre et Dragon (Wo hu cang long)
Hulk © Marvel – Universal Pictures
2003 : Hulk
2005 : Le Secret de Brokeback Mountain (Brokeback Mountain)
2007 : Lust, caution
2009 : Hôtel Woodstock (Taking Woodstock)
2012 : L’Odyssée de Pi (Life of Pi)
2016 : Un jour dans la vie de Billy Lynn (Billy Lynn’s Long Halftime Walk)
2019 : Gemini Man
© 2016 Sony Pictures International Releasing