Moins radical si ce n’est dans sa trop longue durée, Nuestro tiempo, de Carlos Reygadas, est une œuvre d’une beauté éblouissante qui investit les affres du couple en le replaçant dans une dimension cosmique et picturale qui suscite la fascination.
Synopsis : La campagne mexicaine. Une famille élève des taureaux de combat. Esther est en charge de la gestion du ranch, tandis que son mari Juan, poète de renommée mondiale, s’occupe des bêtes. Lorsqu’Esther s’éprend du dresseur de chevaux, Juan se révèle alors incapable de rester fidèle à ses convictions.
Critique : Absent pendant six ans, après l’étrange Post Tenebras Lux, Prix de la mise en scène à Cannes, qui avait dérouté le public, Carlos Reygadas propose avec Nuestro tiempo une œuvre moins radicale dans sa narration et ses images, ce qui lui a valu une sélection à la Mostra de Venise. Mais c’est ainsi que l’auteur de Japón, Bataille dans le ciel et Lumière silencieuse, a raté sa première compétition cannoise, probablement pour la radicalité de la durée du film.
Le drame du couple, froissé par l’érosion et la paranoïa
Nuestro tiempo est long de près de trois heures et cette apnée se fait ressentir à bien des moments ; aussi nécessitait-il certainement des coupes, mais Reygadas n’est pas de ceux à qui l’on impose le rythme d’une œuvre qui bat au tempo de sa conviction d’auteur. Il a donc préféré laisser ce film hypnotique déployer sa beauté vénéneuse sur une durée qui en fait
forcément un morceau de cinéma fascinant. Ce drame conjugal, froissé par l’érosion et la paranoïa, qui cède peu à peu à la souffrance interne irriguant les doutes, crispations et jalousies, n’en demeure pas moins magnifique dans sa composition picturale, la majesté de son format 2.35 et son goût pour le grand angle. Ces éléments en font une vision artistique totale qu’il ne faut jamais diminuer dans son intégrité.
Nuestro tiempo, la radicalité dans la durée
En posant ses personnages dans un vaste espace de paysages qu’ils complètent tels des éléments stellaires, Reygadas cède à la thématique rebattue du triangle amoureux, mais en rabattant les cartes pour ériger aigreurs et colères à un niveau plus élevé qui pourrait bien aliéner une partie des spectateurs les plus aguerris, tout en s’octroyant l’enthousiasme des amateurs du cinéma contemplatif exigeant. Dans tous les cas, cette œuvre du niveau de Lumière silencieuse, qu’elle évoque en particulier dans son goût pour la ruralité et sa perception du couple, apparaît bien plus accessible que Japón ou Bataille dans le ciel. La caméra s’est apaisée, la violence s’est nettement atténuée, même si, ici et là, la réalité du terrain peut aussi virer au plan animalier atavique qui dérange. Nuestro tiempo, film atemporel qui sévit dans son espace-temps, séduit surtout par sa sincérité psychologique sans chercher à rendre ses personnages charismatiques dans leurs tourments. En cela réside l’intelligence de son cinéma de l’exigence, dépourvu de pathos mais jamais de bon sens. Du grand art.
Critique : Frédéric Mignard
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