Wang Bing, photographe de formation, est un cinéaste chinois à la sociologie magnifique, l’un des plus importants du début du XXIe siècle. Ce chirurgien de l’exclusion et radiologue de la marginalité a eu les honneurs d’une prestigieuse rétrospective à la Cinémathèque de Paris, en 2021, et a reçu le Léopard d’Or à Locarno pour Mrs. Fang, en 2017, documentaire sur une fin de vie glaçante.
En 2023, l’auteur est sélectionné à Cannes, en compétition pour Jeunesse (Printemps), après cinq ans d’absence dans nos cinémas. Son expérience cannoise a été multiple. Fengming, chronique d’une femme chinoise, et ses 3h10 de souvenirs, avait été présenté en 2007, hors de la Compétition, mais avait dû attendre cinq ans avant de sortir en salle (Capricci Films, 2012). Le film avait connu un petit succès d’art et essai (9 395 spectateurs dans une combinaison qui n’ira jamais au-delà des 4-5 écrans). Cette sortie s’explique par l’intérêt autour du Fossé, que Capricci présente parallèlement en salle cette année-là. Le fossé évoque les travaux forcés d’hommes considérés comme des opposants politiques, dans un environnement hostile à la vie humaine. Wang Bing reprendra cette thématique dans Les âmes mortes (2018), documentaire de 8h16, présenté à Cannes – Hors compétition. Dans ce drame, le cinéaste du réel s’intéresse à ces camps de la mort dont les survivants sont ressortis brisés, et ne se réinséreront jamais totalement parmi les vivants de la Chine contemporaine.
C’est en 2004 que les Français découvrent le cinéma de Wang Bing, dès son premier long métrage, A l’ouest des rails. Ad Vitam propose son cinéma du réel dans ce qu’il a de plus remarquable, son rapport au temps. Le monument de neuf heures, qui revient sur le déclin d’une industrialisation et la détresse des ouvriers qui la mettait en oeuvre, pose les jalons à venir d’une carrière riche et cohérente, auprès de 10 521 spectateurs. Cela sera finalement le plus gros succès du cinéaste en France après Les trois soeurs du Yunnan (Les Acacias, 2014) qui présente le quotidien de trois sœurs en bas âge, isolées dans une ruralité lointaine, laissées-pour-compte, quand leur père cherche du travail à la ville. 34 619 spectateurs répondront à l’appel de leur stoïcisme. Un triomphe pour ce morceau impeccable de cinématographie, sélectionné à Venise.
Wang Bing n’est pas visionnaire, il est observateur. Témoin. Historien. Et sociologue. Le tout, au cœur du naturalisme palpable d’une société qui se délite et dans laquelle l’individu se meurt intérieurement dans l’indifférence du groupe. Aussi, ce n’est pas une surprise lorsque l’on découvre, en 2006, sa présence au générique du film à segments L’état du monde, aux côtés de cinéastes radicaux comme Apichatpong Weerasethakul, Vicente Ferraz, Pedro Costa, Chantal Akerman, et Ayisha Abraham. L’état du monde sort discrètement dans 10 cinémas en 2008.
En abordant la santé mentale, dans un hôpital psychiatrique de Yunnan, avec A la folie (oeuvre magistrale de 3h47) ou la fin de vie avec Madame Fang dans un contexte réaliste où la vie fourmille avec indifférence au sort du vivant et de son effroi morbide, Wang Bing touche à l’universel et sacralise la vie malmenée des exclus d’une société qui écrase l’individu, pour un collectif d’aliénation. Argent Amer, sorti discrètement en 2017, synthétise en 2h32, un macrocosme utilitariste où l’exploitation des ressources humaines génère inhumanité, humiliation et précarité sociale.
En compétition à Cannes 2023 avec Jeunesse (Le printemps), une production de plus de 3h30, une fois de plus, Wang Bing rabat les cartes et s’intéresse aux perspectives de la Chine de demain. Il y est question de cette jeunesse rurale aux rêves de tranquillité qui se heurtent aux défis du présent. En séance spéciale à Cannes, le cinéaste présente quatre jours plus tard Man in Black, un court métrage selon ses coutumes, puisque le film ne dure qu’une heure.
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