Après son Oscar pour Démineurs, Kathryn Bigelow retrace les dix ans de traque acharnée d’Oussama ben Laden par la CIA. Le résultat est une implacable plongée dans l’Histoire contemporaine. Intensité et densité garanties, Zero Dark Thirty est une réussite totale.
Synopsis : Depuis 2003, Maya, une jeune officier du Renseignement américain, se consacre exclusivement à la traque d’Oussama ben Laden, leader du mouvement islamiste Al-Qaeda, responsable des attentats du 11 septembre 2001. En compagnie de Dan, agent de la CIA, elle assiste aux interrogatoires sous la torture d’un certain Ammar, qui connaîtrait le coursier personnel de Ben Laden. Au cours des années suivantes, Maya survit à l’attentat contre l’hôtel Marriott à Islamabad, puis échappe à une tentative d’assassinat, avant de perdre une amie dans l’attaque du Camp Chapman en Afghanistan, en 2008. Désormais convaincue que Ben Laden se terre dans un bâtiment résidentiel de la banlieue d’Abbottobad, au Pakistan, Maya convainc le directeur de la CIA de déployer une importante opération avec l’aide du gouvernement local. Le 2 mai 2011 au matin, un commando des Marines passe à l’action.
Critique : Après le triomphe critique de Démineurs sur les ravages des bombes en Irak, et son Oscar du meilleur film inattendu pour une production indépendante en 2010, Kathryn Bigelow passe à la guerre contre le terrorisme à une échelle autrement plus ambitieuse : une œuvre fleuve de 2h40 sur l’ancien ennemi public numéro 1 et symbole du terrorisme contemporain : ben Laden.
Démineurs : © 2009 Voltage Pictures, tous droits réservés. Affiche Copyrights 2009 SND, tous droits réservés. Conception graphique : JEFF
Un instantané d’histoire géopolitique mis en boîte avec audace
La cinéaste revient ainsi sur dix ans de traque par des cellules anti-terroristes de la CIA, jusqu’à l’assaut final en mai 2011, sur la demeure où l’ancien chef d’Al Quaïda se terrait en famille au Pakistan. Le sujet est délicat en 2012, au vu de l’actualité mondiale. L’Amérique de Bush est jugée sur son traitement barbare des prisonniers dans des camps montés loin du regard du monde, pour obtenir un maximum d’informations ; l’administration d’Obama a succédé depuis à celle du Républicain notoire, avec une volonté affichée de méthodes plus humaines, mais avec le cadavre de ben Laden sur les bras, puisque le patriarche saoudien, est tombé dans des conditions opaques lors de l’attaque du 2 mai 2011.
L’équilibre des points de vue
Avec pour ambition de concilier tous les points de vue vers la vérité ultime, sans pour autant expédier les paradoxes éthiques de l’Amérique en guerre, Bigelow délivre avec Zero Dark Thirty une œuvre somme qui retranscrit avec précision les différentes étapes de la chasse aux terroristes par les Américains au Moyen-Orient, jusqu’aux méthodes de torture sur les prisonniers djihadistes.
L’enquête spectaculaire, celle en particulier d’une femme jouée avec ténacité par Jessica Chastain (The Tree of Life, Take Shelter), révèle dix ans de souterrains politiques et de luttes souterraines, une décennie de détermination acharnée de la part des forces spéciales qui, de la protection du territoire américain, en sont venues parfois à un objectif personnel. C’est en tout cas ce qui ressort du personnage entier de Chastain, fausse ingénue balancée au tout début dans la lutte anti-terroriste au Moyen-Orient et qui devient très vite une obstinée monomaniaque sachant aller jusqu’au bout de son instinct et de ses pistes, en particulier lorsqu’elle perd l’une des ses collaboratrices lors d’un attentat suicide en plein camp américain…
Zero Dark Thirty, une œuvre complexe et maîtrisée
Avec beaucoup de dialogues, essentiels à la construction du récit et toujours passionnants, et très peu d’action jusqu’à l’assaut final (qui n’intervient seulement qu’au bout de deux heures !), Bigelow privilégie l’intensité psychologique et satisfait largement la curiosité du spectateur face aux zones d’ombre d’une traque méconnue par les civils, au cœur de laquelle soudainement ils se retrouvent plongés. Sans didactisme, ethnocentrisme, ni jugement éthique, elle délivre une leçon d’histoire filmée brillamment, comme une fiction de cinéma, avec tout le langage cinématographique qu’elle n’a jamais aussi bien maîtrisé : le raid final, dont on connaît pourtant la conclusion, fait monter l’adrénaline à un niveau élevé insoupçonnable.
En définitive, Bigelow, ancienne réalisatrice de séries B musclées (Point Break) a encore mûri. Zero Dark Thirty (référence à l’heure de l’assaut des forces spéciales sur Ben Laden, donc minuit et demi) est une nouvelle œuvre de référence dans le cinéma géopolitique américain. Les Oscars en 2013 feront toutefois la fine bouche et ne récompenseront cet instantané d’histoire que d’une récompense technique. Au moins le public répondra présent, du moins aux USA avec près de 100 000 000$ de recettes. Le reste du monde sera beaucoup moins curieux. Beaucoup, beaucoup moins.
© Affiche Ca Tourne / Jones fr – Copyrights 2012 Universal Studios
