Tu mourras à 20 ans est un film rare qui révèle avec tact les conséquences de croyances ancestrales encore vivaces au Soudan.
Synopsis : Soudan, province d’Aljazira, de nos jours. Peu après la naissance de Muzamil, le chef religieux du village prédit qu’il mourra à 20 ans. Le père de l’enfant ne peut supporter le poids de cette malédiction et s’enfuit. Sakina élève alors seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Un jour, Muzamil a 19 ans….
Critique : En décembre dernier, le documentaire de Suhaib Gasmelbari Talking about Trees amorce le renouveau du cinéma soudanais, muselé depuis trois décennies. Fort de cette percée, le jeune réalisateur Amjad Abu Alala ose pointer du doigt, sans brusquerie aucune, ces pratiques religieuses d’un autre temps qui ficellent la vie de ceux qui s’y adonnent et signe une ode à la liberté dédiée aux révolutionnaires qui, tout récemment, ont délivré le pays de l’obscurantisme dans lequel le maintenait l’oppresseur Omar el-Béchir.
Enfance confisquée
Sous un ciel uniformément bleu, de nombreuses personnes vêtues de boubous colorés foulent un sol sablonneux pour atteindre la place d’un village aux maisons de terre et de paille. Dans ce petit coin de Soudan, situé dans le Nord de l’Afrique, entre l’Egypte et l’Érythrée, c’est jour de fête. On baptise Muzamil, un tout jeune bébé. Mais au milieu de la cérémonie, l’un des représentants du cheikh s’effondre. Un funeste signal qui indique que l’enfant ne vivra pas au-delà de vingt ans. D’ores et déjà, son existence lui est confisquée.
Se déclarant responsable de la malédiction (ou peut-être trop lâche pour endurer une telle punition), son père Alnoor prend la décision de partir à l’étranger chercher du travail tout en promettant d’envoyer de l’argent pour Sakina la mère et l’enfant. Sakina reste donc seule avec cette douleur de devoir élever un fils qu’elle pense condamné à court terme. Désormais, elle ne se vêt que de noir. Elle a déjà réservé l’emplacement au cimetière et ne voit pas la nécessité d’envoyer ce gamin sans avenir à l’école. Privé de toute liberté et de toute vie sociale, Muzamil devient la cible des garçons de son âge qui le surnomment «l’enfant de la mort». Seule sa rencontre avec une Naïma, une fillette sensible, lui apporte quelque réconfort tandis que l’imam, qu’il imagine être sa seule chance d’ouverture vers le monde, en fait un parfait adepte du Coran, renforçant encore un peu plus sa totale résignation face à un destin qu’une obscure et indéfinissable puissance supérieure, réputée indiscutable, a tracée pour lui. Sa rencontre avec Suleiman, un ancien cameraman qui a bourlingué à travers le monde et a une toute autre conception de la vie, le pousse à envisager d’autres horizons. Mais aura-t-il la possibilité d’y accéder ?
Tu mourras à 20 ans est un ardent plaidoyer en faveur de l’éducation, de la culture et de la liberté
Une mise en scène ample aux plans colorés de toute beauté compense un engourdissement qui sert de réceptacle à la trop grande obéissance de Muzamil et à l’embrigadement servile de la population au sein de laquelle il vit. L’arrivée de Suleiman (le remarquable Mahmoud Elsaraj) donne un salutaire coup d’accélérateur à une narration jusqu’alors indécise que quelques touches oniriques aèrent néanmoins de beaux instants de poésie.
Mais le film n’aurait assurément pas la même force de conviction sans la présence de cet extraordinaire comédien non professionnel qu’est Mustafa Shehata. Il n’a aucune difficulté à communiquer toute la complexité des sentiments qui traversent son personnage de Muzamil. La caméra, qui le suit pas à pas, capte avec intensité le moindre tressaillement de son visage et nous fait pleinement partager son désarroi, ses doutes et espoirs. La superbe musique d’Amine Bouaha répand ses notes suaves pour faire résonner, entre mer Rouge et Nil, cet ardent plaidoyer en faveur de l’éducation, de la culture et de la liberté.
Critique : Claudine Levanneur