Malgré une réalisation un peu trop basique et fonctionnelle, Force majeure n’en demeure pas moins un film correct grâce à une écriture assez fine des personnages et une interprétation de qualité.
Synopsis : Philippe, Daniel et Hans se rencontrent au cours d’un voyage en Asie et passent quelques semaines ensemble. Au moment de leur départ, Philippe et Daniel laissent à Hans qui reste encore quelques temps leur part de haschisch. Dix-huit mois plus tard, Malcolm Forrest, avocat d’Amnesty International, retrouve la trace de Philippe, étudiant a Paris et de Daniel, chômeur et père de famille dans la banlieue lilloise. Hans a été arrêté le lendemain de leur départ pour trafic de drogue et condamné à la peine de mort. Il reste cinq jours avant l’exécution.
Pierre Jolivet, entomologiste du genre humain
Critique : Après avoir signé Strictement personnel (au titre prémonitoire au vu de ses 58 153 spectateurs), puis Le complexe du kangourou (un autre échec commercial), le scénariste-réalisateur Pierre Jolivet opte avec Force majeure (1989) pour un cinéma encore plus dépouillé qui serait celui d’un moraliste. Comme autrefois Richard Brooks aux Etats-Unis (avec Cas de conscience, par exemple), il fonde son scénario sur un dilemme moral qui se pose à deux jeunes individus et observe ensuite leurs réactions tel un entomologiste.
Ici, deux jeunes gens voient leur destinée bouleversée par les conséquences d’un acte apparemment anodin, mais qui a eu des conséquences désastreuses pour une tierce personne, en l’occurrence un camarade de voyage. Ledit compagnon s’est fait arrêter dans un pays étranger pour détention de drogue et risque d’être condamné à mort si ses deux potes ne viennent pas avouer que la quantité de drogue retrouvée leur appartient en grande partie. En gros, soit ils font tous les trois de la prison et restent en vie, soit leur copain écope de la peine de mort pendant qu’ils peuvent continuer leur vie comme si de rien n’était.
Une opposition de caractères… et de classe sociale
Ce dilemme moral est posé dès les dix premières minutes de Force majeure et Pierre Jolivet observe à partir de là les réactions de ses deux personnages principaux. On pourra remarquer que les deux protagonistes sont radicalement différents l’un de l’autre. Si Philippe (incarné avec retenue par Patrick Bruel) appartient à une certaine bourgeoisie et peut être qualifié d’intellectuel, Daniel (excellent François Cluzet) est un être plus primaire, à la dérive au cœur de la banlieue lilloise ruinée par le chômage.
Le principal intérêt de Force majeure est de montrer les hésitations de chacun des protagonistes. Tandis que l’un s’engage à partir immédiatement, l’autre tergiverse, avant que la situation s’inverse peu à peu. Enfin, la dernière séquence à l’aéroport nous réserve encore quelques surprises qui redéfinissent une fois de plus les réactions des différents individus.
© 1989 Fildebroc / Affiche : Arguments (agence) – N. de Moussac (photographe). Tous droits réservés. / Les archives de CinéDweller
Une réalisation appliquée, mais sans grand relief
Si le scénario est plutôt bien construit, Force majeure souffre tout de même d’un certain manque de punch au niveau de la réalisation. Certes, Pierre Jolivet souhaitait ici ne pas dévier de sa trajectoire à l’aide de fioritures – ce qui est confirmé par une durée très resserrée – mais son film manque parfois de relief, notamment dans sa mise en scène, sans doute trop fonctionnelle.
Heureusement, le spectateur peut s’appuyer sur des acteurs de grand standing pour animer le long-métrage. On apprécie notamment le jeu de Patrick Bruel, sobre et efficace, lui qui cherchait depuis quelques temps à varier ses rôles dans des films comme Attention bandits (Lelouch, 1986) et La maison assassinée (Lautner, 1988). Face à lui, François Cluzet confirmait une belle présence à l’écran et démontrait qu’il était capable de porter un film sur ses épaules, alors qu’il était encore abonné aux seconds rôles dans les années 80.
Une petite réussite, y compris sur le plan commercial
Kristin Scott Thomas, Alan Bates et Sabine Haudepin complètent un casting à la fois étonnant et particulièrement bien mis en valeur par le réalisateur. Enfin, signalons une bande originale plutôt efficace de Jannick Top et Serge Perathoner qui créent une ambiance légèrement anxiogène.
Sorti au mois d’avril 1989 avec des critiques globalement favorables, Force majeure peut être considéré comme le premier petit succès de Pierre Jolivet avec 574 521 entrées sur tout la France, alors que le cinéma français traverse la pire crise de son histoire.
Critique du film : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 5 avril 1989
© 1989 C.A.P.A.C. – Fildebroc / Affiche : Arguments (agence) – N. de Moussac (photographe). Tous droits réservés.
