Documentaire classique, mais passionnant, Ennio peint le portrait d’un homme habité par son art et traversé de doutes quant à sa légitimité d’artiste. L’ensemble est hagiographique, mais nécessaire pour rendre hommage à l’un des plus grands musiciens du 20ème siècle.
Synopsis : À l’âge de 8 ans, Ennio Morricone rêve de devenir médecin. Mais son père décide qu’il sera trompettiste, comme lui. Du conservatoire de musique à l’Oscar du meilleur compositeur, l’itinéraire d’un des plus grands musiciens du 20ème siècle.
Ennio ou le travail de cinq années de recherches et d’entretiens
Critique : Collaborateur privilégié durant plus de 25 ans et ami du compositeur, le réalisateur Giuseppe Tornatore (Cinéma Paradiso et The Best Offer, entre autres) avait furieusement envie de consacrer un documentaire à Ennio Morricone afin de célébrer en lui le grand artiste qu’il était. Ennio (2021) a donc pris cinq ans de la vie du réalisateur afin d’interroger longuement son ami peu de temps avant son décès en 2020, mais aussi pour recueillir des centaines de témoignages à travers le monde, de la part de cinéastes, de musiciens et d’artistes qui vouent un attachement particulier à cet homme de l’ombre qui fut en son genre une star dans un domaine généralement peu commenté.
Ennio revient donc pendant plus de deux heures et demi – qui filent à toute vitesse tant le sujet est passionnant pour les amoureux de cinéma et de musique – sur la vie, l’œuvre et le rapport de l’artiste à sa musique. Certains pourront reprocher l’aspect très linéaire du documentaire, ce qui n’étonne d’ailleurs pas de la part de Giuseppe Tornatore, cinéaste classique par excellence, mais cela permet de mieux saisir les inflexions au cœur d’une carrière d’une durée exceptionnelle de plus de soixante ans.
Ennio Morricone, coincé entre ses aspirations et la réalité
Ainsi, le spectateur suit avec intérêt la formation du grand Morricone auprès du maestro Goffredo Petrassi qui a suggéré au jeune trompettiste de devenir compositeur. Il est toutefois important de signaler que les études de Morricone l’ont poussé vers une musique dodécaphonique et contemporaine fondée sur l’expérimentation. Ainsi, lorsque Morricone devient un arrangeur de variété à succès, ses aspirations initiales semblent trahies. Pire, quand il aborde enfin la composition par la musique de film, cette activité était considérée comme purement alimentaire et dégradante pour un musicien digne de ce nom.
Ennio insiste donc parfaitement sur la schizophrénie de Morricone qui a rencontré un énorme succès grâce à ses compositions pour westerns, alors que lui-même considérait cela comme une basse besogne et que ses pairs se moquaient de lui et dénonçaient un habile faiseur. Cela explique notamment pourquoi Morricone a ensuite toujours inclus des passages plus proches de l’expérimentation, y compris dans ses bandes originales, notamment celles pour Dario Argento et ses gialli. Multipliant les entretiens avec le maestro, Tornatore parvient à peindre le portrait d’un homme totalement passionné par son art, et même franchement habité.
Un compositeur prolifique qui ne vivait que pour la musique
On découvre notamment que, comme Mozart, Morricone était capable d’écrire une partition comme d’autres écriraient une lettre, sans avoir même recours à un piano puisqu’il entendait la musique dans sa tête. Cela explique notamment sa capacité à livrer autant de partitions en si peu de temps au point d’être l’auteur de plus de 500 bandes originales de films, mais aussi de plusieurs symphonies et autres pièces pour musique de chambre.
Ennio est aussi l’occasion de revisiter plus de soixante ans de cinéma, avec les témoignages émus des plus grands cinéastes comme Sergio Leone, Bernardo Bertolucci, les frères Taviani, mais aussi Quentin Tarantino et encore bien d’autres. A chaque fois ressort le portrait d’un homme fier, heureux de contribuer à sublimer l’œuvre d’un autre, mais également désireux d’être reconnu par ses pairs, ce qui fut très tardif par rapport à son succès public.
Ennio est un best of qui a connu un joli succès en salles
Ce documentaire classique nous permet aussi de réentendre avec un plaisir toujours intact les mélodies somptueuses de la trilogie du dollar, d’Il était une fois dans l’Ouest, d’Il était une fois en Amérique, du Clan des Siciliens, de Sacco et Vanzetti ou encore de Mission. Si l’on excepte l’oubli du thème génial du Professionnel (Lautner, 1981), sans doute à cause de son succès français et non italien, Ennio constitue un formidable best of regroupant les titres les plus populaires de l’artiste, auquel Tornatore a ajouté des œuvres plus méconnues mais appréciées par Morricone lui-même.
Ce portrait touchant qui a été tourné avant la mort du compositeur a été présenté d’abord avec succès à la Mostra de Venise en 2021, puis a reçu 3 David di Donatello du meilleur documentaire, meilleur montage et meilleur son en 2022. Arrivé en France en contre programmation estivale dès le 6 juillet 2022, Ennio a attiré à la séance de Paris 14h 298 curieux dans 7 salles pour une moyenne convaincante de 43 mélomanes par site. Il faut dire que le jour en question était compris dans la Fête du cinéma. Sur la France entière, Ennio a fini sa première semaine d’exploitation avec 21 563 cinéphiles dans 133 salles. Un score tout à fait intéressant à une époque où l’art et essai souffrait largement d’un déficit de public.
Par la suite, le documentaire a continué à attirer des curieux en ne perdant que peu d’entrées de semaine en semaine. Son exploitation française s’est ainsi terminée au-dessus des 100 000 entrées avec précisément 102 808 musiciens dans les salles. Ce qui en fait un joli succès à une époque où le public désertait les cinémas consacrés à l’art et essai. Preuve s’il en était encore besoin de l’énorme impact du génial compositeur sur le public.
Critique de Virgile Dumez
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Giuseppe Tornatore, Ennio Morricone
Mots clés
Documentaire musical, Documentaire sur le cinéma, La musique au cinéma
