© FDC / Philippe Savoir (www.filifox.com)
Leos Carax signe avec Annette une œuvre élégante et foisonnante, qui transcende les limites d’un scénario convenu par une créativité visuelle indéniable, et une utilisation pertinente de la musique des Sparks.
Synopsis : Los Angeles, de nos jours. Henry est un comédien de stand-up à l’humour féroce. Ann, une cantatrice de renommée internationale. Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.
On connaît la chanson
Critique : Holy Motors, le dernier long métrage de Carax, présenté à Cannes en 2012, avait divisé la Croisette, considéré comme un sommet du cinéaste pour les uns, et un pensum nombriliste pour les autres. Depuis la sortie du film et son échec commercial, Leos Carax a déserté les studios pendant plusieurs années. Disposant d’un budget plus cossu, avec casting international et tournage dans plusieurs villes (dont Los Angeles, en partie), Annette est le film de Carax le plus coûteux depuis Les amants du Pont-Neuf. En apparence plus consensuel et linéaire, il ne réconciliera pas pour autant les fans et les détracteurs du réalisateur. « J’avais imaginé mon troisième film (…) comme une comédie musicale. Le grand problème, mon grand regret, est que je ne peux pas composer de musique moi-même. Et comment fait-on pour choisir, puis travailler, avec un musicien ? Ça m’inquiétait beaucoup », précise Carax dans le dossier de presse. Grands admirateurs du réalisateur (lui-même groupie des deux musiciens), les Sparks lui ont proposé un récit romanesque débutant comme un conte de fées et déviant progressivement vers la noirceur, tout en ayant écrit les chansons et composé les musiques. Le renouvellement de Carax s’avère ici manifeste, avec une volonté d’assumer le genre musical, et de s’approprier un matériau qui n’est pas à proprement parler le sien.
Boy meets girl
© 2021 CG Cinéma. Tous droits réservés.
Au premier degré, le synopsis d’Annette pourra paraître limité voire inepte, avec ses enjeux de roman-photo aux relents lelouchiens, sa psychologie de soap, et sa récupération opportuniste de sujets dans l’air du temps (#MeToo). Le kitsch délirant de certaines séquences (des guili-guili supposés traduire les troubles du protagoniste, une scène d’accouchement que même Maïwenn n’aurait pas osée) confirme que le labellisé réalisateur maudit n’a pas renoncé aux excès de sa période d’ex-enfant terrible du cinéma français. Et pourtant, Annette est une réussite globale qui se regarde (et s’écoute) avec un réel plaisir. Le talent des collaborateurs artistiques et techniques de Carax y contribue certes. La musique des Sparks est très belle et contribue au pouvoir de fascination sonore de maintes scènes, quand la photo de Caroline Champetier amplifie le caractère pictural de la composition de certains plans. Carax semble éprouver lui-même une créativité réelle avec un montage hallucinant qui, s’il n’évite pas l’esbroufe, témoigne d’un sens réel de la mise en scène. Des virées en moto sur les routes californiennes au meurtre dans une piscine, plusieurs scènes mémorables hanteront le spectateur.
La griffe Leos Carax
© 2021 CG Cinéma. Tous droits réservés.
On retrouvera aussi des constantes de l’univers de Carax, la romance entre Henry et Ann faisant écho à celle de Denis Lavant et Mireille Perrier dans Boy Meets Girl, quand la dimension policière du récit rappelle la tonalité de Mauvais sang. Les déboires de personnages beaux et riches évoqueront quant à eux le souvenir de Pola X. Quant au thème de la mort et des désillusions, il est en filigrane dans toute l’œuvre de Carax. Mais Annette mobilise aussi des références externes. Si Carax cite King Vidor ou Sirk, on ne peut s’empêcher de songer à des jalons de la « tragédie musicale » comme Une chambre en ville (1982) de Jacques Demy, Dancer in the Dark (2000) de Lars von Trier ou La La Land (2017) de Damien Chazelle. Le temps fera peut-être d’Annette un classique de ce genre. Il faut enfin souligner la qualité de l’interprétation d’Adam Driver qui confirme le talent qu’il avait déployé dans Paterson (2016) de Jim Jarmusch ou BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan (2018) de Spike Lee. Ses partenaires lui donnent la réplique avec brio, que ce soit Marion Cotillard en diva d’opéra, Simon Helberg en chef d’orchestre amoureux, ou la jeune Devyn McDowell qui évite le cabotinage des child actors.
Critique de Gérard Crespo
© 2021 CG Cinéma. Tous droits réservés.
