Adapté d’un roman intrigant de Giovanni Arpino, Âmes perdues est un film méconnu de Dino Risi qui mérite amplement d’être redécouvert pour son ambiance sombre et ses thématiques audacieuses.

Synopsis : Le jeune Tino arrive à Venise où il sera hébergé par son oncle et son épouse, dans un palais autrefois splendide, aujourd’hui délabré. Sa tante, peu sûre d’elle, l’accueille chaleureusement ; son oncle, lui, apparait rapidement tyrannique et distant. La nuit, Tino entend d’étranges bruits de pas qui semblent venir des combles, puis une mélodie jouée sur un piano. Curieux de savoir ce qui se passe dans ce palais mystérieux, il découvre peu à peu un passé qui ne cesse de hanter ceux qui y vivent.

L’après Parfum de femme

Critique : Depuis le milieu des années 70, le cinéaste Dino Risi tourne de plus en plus de drames, lui qui fut le spécialiste de la comédie à l’italienne. Il a notamment rencontré un bel écho international avec une adaptation d’un roman de Giovanni Arpino intitulé Parfum de femme (1974). Le film a notamment obtenu deux nominations aux Oscars, un Prix d’interprétation pour Vittorio Gassman à Cannes et enfin un César du meilleur film étranger. De plus, le métrage a généré d’imposantes recettes mondiales, avec pas moins de 2,3 millions d’entrées rien qu’en France.

© 1977 Dean Film – Les Productions Fox Europa / Affiche : Alain Baron. Tous droits réservés.

Lorsque le réalisateur a fait savoir qu’il entendait mettre en scène un autre roman de Giovanni Arpino, il a donc obtenu facilement un budget confortable. Il a notamment pu délocaliser l’action du roman de Turin à Venise, se servant de la décrépitude de la vieille cité des doges comme d’une métaphore d’un monde en voie de disparition. Pour Âmes perdues, Dino Risi a retrouvé une énième fois son interprète fétiche Vittorio Gassman qui compose encore une fois un personnage aux multiples facettes. Face à lui, la coproduction l’a amené à tourner avec Catherine Deneuve, absolument parfaite dans le rôle effacé d’une femme sous l’emprise d’un homme tout-puissant. L’actrice apporte en tout cas sa fraicheur et sa vitalité naturelle à un personnage portant le poids d’un terrible secret.

Âmes perdues plonge au cœur de la vieille aristocratie vénitienne

Afin de permettre une identification, Dino Risi a confié le rôle du neveu au juvénile Danilo Mattei qui a également été vu la même année dans l’excellent Au nom du pape roi (Magni, 1977). Celui-ci sert donc de passerelle entre le spectateur et un monde clos sur lui-même. Ici, nous sommes conviés à pénétrer au cœur des grands palais vénitiens où vivent les plus anciennes familles de la cité. Si la famille du jeune homme paraît tout à fait banale de prime abord, avec une tendance pour une certaine rigidité aristocratique, elle va peu à peu révéler des secrets inavouables.

Dès les premières scènes, Âmes perdues scrute les décors fastueux et décrépis du vieux Venise, déployant une ambiance étrange qui rejoint celle d’un film comme Ne vous retournez pas (Roeg, 1973). Toutefois, l’œuvre de Risi ne se laisse jamais happer par une quelconque tentation fantastique et préfère arpenter le chemin plus balisé du drame psychanalytique. Cela n’empêche aucunement de prendre beaucoup de plaisir à suivre cette intrigue très mystérieuse qui va s’avérer également sulfureuse. Effectivement, derrière les tapis, les tentures et autres bibelots se dissimulent des comportements douteux parmi lesquels on comptera une masculinité abusivement dominatrice et surtout de la pédophilie – thème décidément très à la mode en cette fin des années 70. On évitera d’approfondir cette thématique afin de ne pas dévoiler certains éléments surprenants au sein d’une histoire très sombre et qui étonne encore de nos jours.

Prod DB © Dean Film – Prod. Fox Europa / DR

Un beau drame ténébreux, malheureusement méconnu

Certes, certains éléments ne s’imbriquent pas forcément très bien sur un plan purement narratif, mais l’ambiance sombre et inquiétante du long-métrage compense largement ces menus défauts de scénario. Ainsi, Âmes perdues bénéficie d’une très belle photographie de Tonino Delli Colli, tandis que le Français Francis Lai a réussi à composer un thème musical séduisant qui ne dépareille pas avec le reste de la production italienne de l’époque. Si l’on ajoute à cela le charme fou dégagé par la ville de Venise filmée comme une cité en voie de déliquescence, Âmes perdues n’est donc pas avare de qualités. Pourtant ce beau drame ténébreux a éconduit à la fois les critiques et le grand public, constituant une déception commerciale comparée à la réussite de Parfum de femme.

Contrairement à son prestigieux aîné, ce film n’a eu le droit à aucune récompense, tandis que sa carrière commerciale s’est limitée à des peccadilles, notamment en France. Le drame cueille 35 281 spectateurs lors de sa première semaine parisienne et se stabilise à 30 740 retardataires la semaine suivante. Âmes perdues a poursuivi une carrière discrète durant plusieurs semaines, arrivant à glaner 136 210 entrées à Paris. Après une exploitation exclusivement parisienne, le métrage est parti en tournée en province, parvenant à réunir environ 20 000 spectateurs par semaine, et ceci durant plusieurs mois. Ainsi, progressivement, le métrage a ensorcelé 329 664 Vénitiens, preuve d’un bouche-à-oreille positif.

Où voir Anima Persa en première semaine sur Paris? Dans le circuit UGC : UGC Biarritz, Bienvenue Montparnasse, UGC Danton, UGC Opéra, Magic Convention, UGC Gobelins, Rex, pour l’intra-muros.

Tombé dans l’oubli pendant plusieurs décennies, Âmes perdues a connu une réévaluation ces dernières années grâce à deux éditions DVD et même un blu-ray. Le métrage a même fait l’objet d’une reprise en salles en novembre 2019. Il le mérite amplement.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 23 mars 1977

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© 1977 Dean Film – Les Productions Fox Europa / Affiche : René Ferracci. Tous droits réservés.

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